Tribune collective publiée le 05/05/2021 à 14:21 dans Marianne
Plusieurs experts du marché de l’énergie en France demandent au gouvernement de redonner à EDF sa faculté de fixation des prix. Ainsi, le groupe pourrait retrouver son rang sur le marché européen. Et le pouvoir de décision concernant le marché français de l’électricité reviendrait à Paris, et non plus à Bruxelles.
Il y a plus de quarante ans, à la suite de l’Acte unique européen, les États de l’Union Européenne ont approuvé à l’unanimité le principe de mise en concurrence des fournisseurs d’électricité, avec comme objectif l’intérêt des consommateurs. Le client serait libre de choisir son fournisseur. Les fournisseurs seraient libres de la fixation de leurs prix, donc de leur politique commerciale. Comme toute liberté, cette dernière est limitée par celle des autres. Les règles de concurrence fixent ces limites. Les autorités de concurrence font respecter ces règles. Si le commerce entre États est impliqué, comme c’est souvent le cas pour EDF, l’Autorité de concurrence de la Commission européenne est la seule compétente pour autoriser des dérogations.
La mise en œuvre de la concurrence en électricité a débuté avec le nouveau siècle. La France terminait un important programme nucléaire, qui s’est révélé exceptionnellement compétitif. Les concurrents potentiels d’EDF hésitèrent à s’engager sur le marché français. EDF apparaissait comme imbattable dans son pré hexagonal, et devint rapidement le premier exportateur d’électricité mondial. Le gouvernement, soucieux de faire profiter les Français de cette électricité bon marché, décida de prolonger les tarifs réglementés d’électricité reflétant les coûts bas dus à l’atome national.
MISE EN CONCURRENCE
Ces prix administrés, décidés par l’État, sont contraires aux règles de concurrence qui imposent que les prix soient fixés librement par les entreprises. Ils nécessitent une dérogation que seule la Commission européenne peut accorder. Cette dernière refusa un tarif téglementé destiné aux industriels. Le gouvernement français, pour montrer sa bonne volonté, proposa alors une mesure radicale : les concurrents potentiels d’EDF, rebutés par les bas coûts du nucléaire, auraient eux aussi accès à cette manne d’électricité nucléaire bon marché afin qu’ils puissent concurrencer l’opérateur historique. Ce fut le dispositif ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique).
L’ARENH eut des résultats rapides et spectaculaires. Des dizaines de fournisseurs alternatifs apparurent. Mais ce remède de cheval provoqua d’importants effets secondaires indésirables. L’ARENH est un dispositif administré, « totalement dérogatoire » suivant l’Autorité de concurrence française. Il nécessitait l’accord de la Commission européenne. Satisfaite de l’apparition de nombreux concurrents, celle-ci l’accepta en 2012. Mais désormais, le marché français de l’électricité reposait largement sur des dérogations, comme les tarifs réglementés rescapés et l’ARENH. La Commission européenne était seule compétente pour les gérer. Le pouvoir de décision concernant le marché français de l’électricité passa en grande partie de Paris à Bruxelles.
EFFONDREMENT DE LA CAPITALISATION D’EDF
Les tarifs régulés rescapés et l’ARENH privent largement EDF de sa liberté de fixer ses prix, principalement décidés par l’État. Selon son président, l’ARENH « nous empêche de mener à bien notre stratégie ». Les investisseurs se sont détournés d’une entreprise handicapée par une maîtrise insuffisante de sa politique commerciale, donc en grande difficulté face à des concurrents, dont les grandes compagnies européennes, libres de leurs mouvements.
La capitalisation d’EDF s’est effondrée, aggravant durement ses problèmes financiers. EDF, l’un des premiers électriciens mondiaux, et premier exportateur mondial d’électricité, ne figure ainsi plus au CAC 40 et son président craint « qu’il ne soit relégué en seconde division ». Quant au consommateur français, il attend toujours une baisse des tarifs. Celle-ci a bien peu de chance de voir le jour, car EDF et ses concurrents s’approvisionnent principalement à la même source, le parc nucléaire.
Si la réforme Hercule comporte d’importants dispositifs administrés, donc dérogatoires au droit de la concurrence, le pouvoir restera à Bruxelles. Si elle prive largement EDF de sa liberté de fixation des prix, cette entreprise aura des difficultés à exister et nécessitera des financements d’État. Une augmentation du tarif administré de vente du nucléaire amènerait une amélioration temporaire, mais la future EDF, handicapée par l’absence d’une véritable politique commerciale, serait reléguée en seconde division.
EDF NE PRATIQUE PAS DE PRIX PRÉDATEURS
Dans une économie de marché, donc en concurrence, une entreprise ne peut exister sans politique commerciale c’est-à-dire sans la liberté de fixer ses prix, liberté inscrite dans le Code du commerce. Les règles de concurrence peuvent-elles entraîner une limite de cette liberté pour EDF ?
Oui, si EDF a reçu pour la construction du parc nucléaire des aides d’État. Or, en 1993, après un examen minutieux, la Commission européenne a conclu que ce ne fut pas le cas. Oui, si EDF, abusant de sa position dominante, pratique des prix bas dits prédateurs, afin de gêner ses concurrents ou d’empêcher leur venue.
Mais des prix prédateurs doivent faire partie d’une stratégie délibérée dans ce but. Or, les coûts faibles du nucléaire historique n’ont pas comme objectif de gêner les concurrents. Ils sont… historiques ! C’est-à-dire issus de résultats de la politique industrielle d’EDF. Par ailleurs les tarifs d’EDF couvrent les coûts totaux. EDF ne pratique donc pas de prix prédateurs.
Dans sa décision de 2012 concernant l’ARENH, la Commission européenne écrit : « une limitation de la liberté de la fixation des prix [par EDF] peut s’avérer justifiée par la situation et les caractéristiques du marché français ». L’argument de la Commission est que les concurrents d’EDF ne pourraient disposer avant longtemps de moyens de production aux coûts comparables au nucléaire français. Il n’est pas impossible que les règles de concurrence autorisent cette argumentation, mais imposer des contraintes à une entreprise du fait de sa compétitivité est une démarche incertaine. La Commission n’a jamais lancé contre EDF de procédure de ce genre.
CONCURRENCE DU SOLAIRE
En outre, aujourd’hui, un fait nouveau est apparu. Dans un rapport de la Commission européenne d’octobre 2020, il est indiqué que les coûts complets (LCOE) de l’électricité des centrales solaires de plus de 10 MW sont aujourd’hui inférieurs en Europe au prix de vente de l’électricité nucléaire via l’ARENH.
De plus, le solaire a été introduit en avril 2021 dans la taxonomie et ses investissements en seront largement facilités. Les installations solaires sont construites bien plus rapidement que des réacteurs nucléaires. Le rapport de la Commission de 2020 indique qu’est désormais possible pour tout fournisseur alternatif de disposer rapidement d’installations de production d’électricité solaire aux coûts comparables au nucléaire français. Il annule l’argumentation de cette même Commission de 2012, qui aurait pu permettre de limiter la liberté pour EDF de fixer ses prix.
En conséquence, nous préconisons :
– la renonciation aux dispositifs administrés tels que les tarifs réglementés, hors ceux relevant de missions de service public, et l’ARENH. La sortie de l’ARENH sera progressive et préparée comme le préconise l’Autorité de la concurrence française. Ainsi le pouvoir de décision reviendra à Paris.
– qu’EDF exerce sa liberté de fixation des prix afin que ses clients, qui sont essentiellement français, bénéficient des coûts bas de l’atome national et que le financement des investissements soit assuré. L’État s’exprimera par ses représentants au conseil d’administration.
En retrouvant ses libertés d’entreprise, EDF, qui était avant la pandémie la première société mondiale pour la production d’électricité – non par ses capacités de production – et le premier exportateur d’électricité de la planète, retrouvera son rang dans le marché européen et la confiance des investisseurs. Pôle industriel indispensable, EDF pourra largement contribuer à la transition énergétique française qui prévoit le doublement en France de la part de l’énergie consommée sous forme d’électricité d’ici 2050.
La liste des signataires :
Henri Thomé, Fondateur-Gérant du GEIE ALPHALEX-CONSULT
Lionel Taccoen, ancien délégué général pour les affaires communautaires d’EDF
Claude Desama, ancien président de la Commission de l’énergie, de la recherche et de la technologie du Parlement européen, Rapporteur de la première directive sur le marché européen de l’électricité
André Merlin, ancien président du directoire de RTE
Yves Bonnet, préfet honoraire
Jacques Peter, ingénieur des mines
Jean Fluchère, ancien délégué régional d’EDF
Michel Gay, essayiste
André Pellen, président d’association